l’intelligence du corps, intelligence du soin
La crise sanitaire que nous traversons est venue souligner l’importance du corps dans le travail du soin. Les gestes barrières ont en effet en commun d’induire une distance physique, distance qui modifie de facto les pratiques. L’importance du visage et du toucher dans le travail de soin, tout comme celle du corps à corps se rappellent à nous durant cette période si particulière. Cette journée d’étude n’est pour autant pas une journée sur le thème de la crise sanitaire ; celle-ci est simplement convoquée ici comme opérateur d’intelligibilité pour repenser autrement la question du soin.
Les soins palliatifs constituent un lieu privilégié pour explorer les rapports entre l’intelligence du corps et l’intelligence du soin. Ils illustrent en effet de manière exemplaire que tout soin technique est relationnel et tout soin relationnel est technique. Un change, une injection, un examen corporel ne se font jamais de manière complètement standardisée ; les soignants s’adaptent à l’état affectif, émotionnel, physique des patients. On ne fait pas une injection à une personne angoissée de la même manière qu’à une personne sereine : on adapte sa manière de parler, de se mouvoir, de toucher le corps du patient. Toute technique de soin engage des habiletés relationnelles. De même, l’idée que l’empathie, l’écoute, l’attention et la présence relèvent d’habiletés techniques va à l’encontre d’une vision « romantique » du soin selon laquelle ces qualités seraient naturelles ou intuitives. Ces qualités s’apprennent et s’affinent avec le temps. Savoir écouter c’est savoir quand se taire et quand parler. C’est une manière de se positionner au lit du malade, une intonation, une manière de regarder. Nous pourrions en dire de même pour la présence et l’attention. Toutes ces qualités relèvent de techniques du corps, d’habiletés qui s’affinent et se transmettent entre collègues à l’intérieur d’une équipe.
Si l’intelligence du corps est toujours en avance sur la conscience, poser des mots sur des sensations contribue au développement de la sensibilité. L’aller-retour constant entre l’expérience sensible et le langage contribue au développement de l’intelligence du corps : de même que le langage permet aux soignants d’aller chercher au contact des patients ce qu’ils apprennent à nommer, le fait de sentir accroit en retour leur compréhension des mots qu’ils utilisent. Organiser une journée sur le thème de l’intelligence du corps et l’intelligence du soin est ainsi une opportunité de parler autrement du travail en soins palliatifs, de tenter collectivement de mettre des mots sur un territoire immense et relativement inexploré qui constitue pourtant l’essentiel du travail vivant.
Atelier 1 : L’intelligence du corps dans le travail en binôme infirmier/aide-soignant
Le binôme infirmier/aide-soignant constitue un maillon central du travail d’équipe. Sa richesse repose sur une confiance réciproque : « avec le temps, on se comprend sans se parler ». Derrière cette affirmation se cachent des règles de travail tacites qui se sédimentent petit à petit et des habiletés du corps qui permettent de sentir dans la gestuelle et le regard de son collègue comment agir pour bien faire. La métaphore de la danse illustre bien ce que convoque, du point de vue de l’intelligence des corps, le travail en binôme. Cette capacité à se comprendre sans se parler implique dans un second temps de transmettre par le langage au reste de l’équipe une partie de ce qui n’a pas pu être symbolisé au moment du soin.
Laurène Sanchez – Infirmière, MMJG
Soizic Chauvel – Aide-soignante, MMJG
Sophie Chrétien, Infirmière en pratique avancée, Doctorante en sociologie, Présidente de l’Association nationale française des infirmières en pratique avancée
Atelier 2 : Appeler l’intentionnalité vitale des patients avec la Kinésionomie clinique
Le travail de soin n’implique pas que l’intelligence du corps des soignants. Le patient est appelé à entrer dans la danse et à mettre son intelligence au service de la coopération. La kinésionomie clinique est une approche dérivée de l’haptonomie qui offre trois concepts clés aux soignants : la présence, l’invitation et l’intentionnalité vitale. L’appropriation progressive de ces concepts permet aux soignants d’affiner leurs registres de sensibilité. En encourageant les soignants à rechercher l’intentionnalité vitale et à guider le soin plutôt qu’à l’imposer, la kinésionomie clinique témoigne et signifie que les patients sont bien vivants jusqu’à la mort.
Laurent Taillade – Médecin, MMJG
Monique De Kerangal – Infirmière, MMJG
Nicolas Pujol, Psychologue et chargé de recherche, Docteur en éthique médicale et en sciences des religions
Atelier 3 : Intelligence du soin après la survenue du décès.
Le travail en soins palliatifs revêt une dimension symbolique et culturelle. Alors que les grands récits religieux ne font plus collectivement sens, le soin se fait récit et concoure à symboliser et à mettre en rite l’irreprésentable de la mort. Le soin apporté après la survenue du décès fait ainsi œuvre de culture en tissant du sens, sans l’expliquer, autour du mystère de la mort. Ce soin relève d’habiletés du corps : des intonations ; une manière de parler, de se déplacer ; une capacité à faire silence ou à s’émouvoir ; une spontanéité auprès des proches qui appelle parfois de les prendre dans les bras ; une façon de hiérarchiser ce qui est important dans ces moments de bordure si particuliers.
Sophie Robilliard – Infirmière, MMJG
Charlotte Dubreuil – Infirmière, MMJG
Frédérique Drillaud, Anthropologue, Doctorante en sciences de l’information et de la communication
Atelier 4 : Le soin à la lumière de la Foi
Si le soin contribue à tisser du sens autour de la souffrance et de la mort, c’est en raison de la signification qui lui est donné par celles et ceux qui le pourvoient ou qui en bénéficient. Dans une société sécularisée et laïque comme la nôtre, les mots issus des traditions religieuses qui permettaient de parler de l’expérience du corps souffrant et du soin ne sont plus utilisés entre soignants. Ils continuent pourtant de nourrir l’engagement et la sensibilité de certains d’entre eux. Comment ces mots et ces récits religieux peuvent-ils nourrir un dialogue serein et respectueux des croyants et des non croyants pour penser collectivement le soin ?
Jean-François Richard – Médecin
Margarita Saldaña – Aide-soignante, MMJG
Etienne Grieu, Jésuite, Professeur en théologie, Recteur du Centre Sèvres
Atelier 5 : L’intelligence du corps dans les situations extrêmes
Le soin, s’il est toujours un corps à corps, n’implique pas forcément le toucher comme en témoigne la présence musicale de la violoncelliste ou la présence silencieuse des bénévoles d’accompagnement auprès de personnes non communicantes. Alors que les repères relationnels habituels sont brouillés, c’est par l’engagement du corps que la réciprocité inhérente au soin se construit et s’invente dans ces situations extrêmes. Mieux comprendre ce qui relève de l’intelligence du corps dans ces formes limites du soin permet d’instruire celle qui est engagée dans le soin dit ordinaire.
Claire Oppert – violoncelliste et thérapeute
Véronique Comolet – bénévole en SP
Agata Zielinski, Maître de conférence en Philosophie, Centre Sèvres
Animation de la journée
Introduction de la journée par Claire Hibon, Infirmière et Ingénieur de recherche
Matinée animée par le Docteur Anne de la Tour, Présidente de la CME de Jeanne Garnier
Après-midi animée par Marie-Dominique Trébuchet, Directrice de l’IER, Université Catholique de Paris
Conclusion de la journée par Dominique Jacquemin, Professeur de théologie, Université Louvain la Neuve